Frottis de brame - Cerf élaphe - Bois - première parution 2013.112

Les Bois du Cerf élaphe. Les frottis.



Le Cerf élaphe (Cervus elaphus), porte des bois, apanage des seuls mâles, ces protubérances osseuses ont de tout temps intrigué ou fasciné les hommes.
Objets utilitaires pour nos prédécesseurs de la Préhistoire.



Travail du bois de cerf durant l'antiquité tardive [ici]

Ils deviennent au cours de notre brève histoire humaine, des objets de fantasme, de fierté, de désir, voire de culte.


La question inévitable est : pourquoi produire et transporter une telle masse osseuse ne servant pratiquement à rien.

Utilité des bois.

Pour trouver sa nourriture ou se défendre, le cerf n'utilise que très rarement ses bois.
Face à ses prédateurs naturels que sont le Loup gris(Canis lupus) , l'Ours brun (Ursus arctos) ou le Lynx d'Europe (Lynx lynx), la fuite semble être de loin sa meilleure parade.

La conformation des bois n'en fait pas une "arme" de défense efficace, et pourquoi les biches, vivant séparées des mâles, sont-elles dépourvues de ces moyens de défense ?
Ils peuvent tout de même servir à
-se gratter le dos ;
-faire tomber des fruits d'un arbre ?.

Sélection sexuelle.

Il faut peut-être se référer à Charles Darwin, parlant de sélection sexuelle, complémentaire de la sélection naturelle.

Le concept de sélection sexuelle désigne le processus selon lequel la compétition entre les individus en vue de l'accouplement est un facteur de l'évolution de certains traits héréditaires.
Il s'agit d'une compétition intraspécifique (entre individus d'une même espèce ) et sexe-dépendante (elle s'exerce différemment sur les individus mâles et femelles d'une même population). La sélection sexuelle permet, par exemple, d'expliquer:
-des phénomènes d'apparence contraire aux nécessité de survie, comme la queue majestueuse des paons.
-la variété de la faune sauvage des Galapagos, où existaient peu de prédateurs; en un tel cas, la sélection de reproduction prend le pas sur la sélection de survie et peu conduire à l'émergence de nouvelles espèces par spéciation (1*) sympatrique (2*).
-Le dimorphisme sexuel [ ici ], c'est à dire les différences qui existent entre mâles et femelles d'une même espèce.


Les bois des cerfs n'ont, semble-t-il, pas fini d'alimenter les discussions chez les naturalistes et les P.A.N (Protecteurs Armés de la Nature).
Vous pouvez lire mon article sur les bois de cerf [ici]

Utilité des bois durant le brame.

Une certitude, les bois sont utilisés fréquemment, et intensément durant le brame.
Pour :
-marquer la végétation, ce sont les frottis ;
-évincer les "concurrents" sur les places de brame ;


La vie sociale chez les cervidés.

En temps normal, cerfs et biches vivent séparés formant de petites hardes, fréquentant des milieux distincts. Un peu avant la période du brame des mouvements d'animaux commencent à être observés, les mâles qui vivaient ensemble se séparent. Les biches montrent une tendance à se regrouper et à évincer les jeunes cerfs vivant à leur contact.


La vie sociale pendant le brame.

C'est à partir de cette période que les cerfs, en âge de se reproduire, cherchent à se rapprocher des groupes de femelles.
Il est couramment admis (peut-être est-ce de l'anthropomorphisme, et/ou un vieux fantasme masculin !) que le cerf court la forêt à la recherche de biches, les rassemble en harem, les surveille, et s'accouple avec elles suivant son humeur.

La réalité est tout autre bien entendu !
Le cerf se déplace vers les biches déjà rassemblées, tel un chien de berger il  les surveille, les regroupe, et couvre les biches entrées en chaleur.
C'est toujours la biche qui décide ou non de l'accouplement.
Le cerf suit les biches conduites par une meneuse, il se déplace sur des territoires habituellement parcourus par les femelles, il se montre très possessif et ne tolère aucun concurrent auprès des biches. Les frottis pratiqués servent plus à "marquer" son harpail qu'un territoire. Il est souvent observé qu'il fréquente les lieux de son "enfance" et revient année après année sur les mêmes places de brame.


Les indices du brame.

C'est toujours avec beaucoup d'émotion que j'observe les premiers frottis du brame. Ils sont toujours très visibles et ne prêtent pas à confusion pour le naturaliste. Une observation minutieuse permet d'écarter les arbres "attaqués" par des larves d'insectes xylophages ou/et  visités par les pics.

Traces d'insectes xylophages

 Traces d'insectes xylophages

 Tronc "éventré" par un pic et traces d'insectes xylophages

 Frottis effectué par un Cerf élaphe durant les refaits

 Frottis pratiqué par un Cerf élaphe au moment du brame

La hauteur des frottis sert également à la discrimination.


Seul l'examen minutieux de l'arbre et le relevé d'indices permet de lever les derniers doutes.


Le Cerf élaphe pratique des frottis lors de la chute des velours, et durant le brame.

Les frottis destinés à faire tomber les velours. 

Les bois tombent chaque année et chaque année ils repoussent. Les bois, fortement vascularisés, sont durant la période des refaits recouverts d'une peau appelée velours. La repousse des bois terminée le cerf hâte la chute des velours en frottant énergiquement ses bois sur de petits baliveaux, rarement sur de très gros arbres. Ce n'est pas une règle absolue, bien entendu !
Lisez mon article au sujet des bois du cerf [ ici ]

Les frottis du brame.

Les arbres écorcés par le cerf jalonnent généralement les itinéraires suivis par les biches, les lieux de gagnage et de remise.
Leur fréquence dépend :
-de la vitesse de déplacement de la harde
-des dénivelés du terrain
-de la nourriture disponible sur les points de gagnage.
-de la quiétude des lieux de repos.


Dans cette pente bien exposée, la nourriture disponible est plus importante et entraîne un stationnement plus long des biches. Les arbres frottés sont plus nombreux, trois sur 50 mètres de distance.


Les coulées empruntées par les hardes sont jalonnées de place en place par des frottis de cerfs.


Les frottis sont pratiquement toujours attribués aux seuls mâles, mais regardez bien ces documents.



Une biche se frotte, consciencieusement, à un arbre précédemment écorcé par un cerf, serait-elle en train de marquer elle aussi cet arbre ?

Les glandes à odeurs chez le Cerf élaphe Cervus elaphus.


Utilité des glandes à odeurs.

Le cerf et la biche possèdent des glandes à odeurs, servant au :
- marquage de territoire,
- marquage de passages, de coulées,
- marquage des jeunes et/ou des autres individus.

Ces odeurs permettent :
- la reconnaissance des territoires, zones de repos, de gagnage,
- l'identification et la reconnaissance des individus.

Disposition des glandes sur le corps de l'animal.

Les glandes à odeurs, dans l'état actuel de nos connaissances, semblent situées aux endroits suivants :

Code couleurs :
- en rouge, glande spécifique à la femelle (la biche) ;
- en jaune, glande communes aux deux sexes ;
- en bleu, glande spécifique au mâle (le cerf)




Glandes situées près des yeux. 

Le mâle et la femelle ont tous deux des glandes creuses situées près de l'œil.
Du larmier, non donné à cette glande, s'écoule un liquide servant à marquer la végétation. Chez le mâle cette glande prend des proportions  plus importantes durant le brame, elle devient nettement visible sur les photographies.
Ces importantes secrétions ont  longtemps été prises pour des larmes que le cerf versait au moment de sa mise à mort. (Les connaissances des chasseurs m'étonneront toujours, bref !)
Chez la femelle ces glandes sembleraient jouer un rôle important dans la reconnaissance mère-jeune.


Glandes situées sur les pattes postérieures.

Le mâle et la femelle disposent au niveau des brosses (touffes de poils de couleur différente bien visibles) de glandes destinées semble-t-il à marquer la végétation durant leur déplacements.

Emplacement des "brosses" chez la femelle.



Emplacement des brosses chez le mâle.


Photo de cerf réalisée en parc de vision.

Glandes caudales.

Présentes uniquement chez le mâle, elles sont situées à proximité de la queue, ce sont elles qui délivrent cette odeur musquée perceptible par les humains, même les moins expérimentés.

Glande frontale.

Présente uniquement chez la femelle, son rôle reste encore, à l'heure actuelle, mal défini.
Voyez plus haut la biche marquant ce petit arbre.

Résumé :

le cerf et la biche possèdent des glandes situées près des yeux, sur les pattes postérieures, au niveau de la queue (mâle) et sur le front (femelle).

Anatomie du cerf.


Planche tirée du l'ouvrage : Le Cerf éditions Hatier

Le monde des odeurs chez les cervidés.

Les animaux se déplacent dans un monde d'odeurs, un monde qui nous est inconnu. Pourtant durant le brame l'odeur de cerf en rût est facilement perceptible par l'Homme.
Des heures après le passage du cerf, il est encore possible de sentir cette odeur "sauvage" embaumant la coulée qu'il a suivie.

Observations des frottis in situ.


Voilà plusieurs années que je passe à côté d'un arbre "maltraité" par les cerfs durant le brame.



Cette année encore (année 2009) un cerf est venu là pour marquer sa "propriété", les biches paissent tranquillement tandis que lui, "passe son humeur belliqueuse" (R Hainart 1988) sur ce Pin maritime Pinus pinaster. Le bois est lacéré par les coups d'andouillers.

L'écorce est usée


et porte quelques poils de l'animal


Une observation attentive du sol révèle elle aussi, la présence de poils.


Nous sommes le 19 novembre 2009, et l'arbre est encore fréquenté, pour preuve la présence de résine toute fraîche confirmant la poursuite des frottis.


Le même cliché, avec en rouge les gouttes de résine ancienne et en jaune les fraîches.


Nota: la résine est différente de la sève.

«dans le tronc de nombreuses espèces d'arbres, des vaisseaux de l'aubier et du phloème, situés juste sous l'écorce externe, acheminent des résines et des liquides visqueux qui, à la différence de la sève, ne contiennent ni aliment, ni eau utilisables par les tissus. ces sucs, qui durcissent à l'air libre, colmatent les blessures du tronc des branches et limitent les risques de déshydratation.»  Bernard Fischesser. Connaître les arbres. Nathan 1995.

Comme je vous le fais remarquer plus haut cet arbre est régulièrement écorcé depuis une dizaine d'années, mais il est pratiquement impossible, connaissant les conditions de vie (pardon, de mort) des grands animaux ici à Fontainebleau, que cet arbre soit marqué par le même cerf.

Hypothèse : Au fur et à mesure des années les cerfs se succèdent et utilisent le même "frottoir", ils le font au moment du brame et tout en suivant les biches. Cette hypothèse pourrait confirmer le fait que :
- les biches ont des secteurs d'activités bien précis ;
- qu'elles utilisent, des coulées, des zones de gagnages, des zones de repos depuis des générations et que ce "savoir" se transmet de biche en faon.

J'avoue ne pas relever, sur mes carnets de notes, chaque arbre écorcé mais j'aimerais vérifier depuis combien de temps cet arbre est utilisé.

L'enquête.
La plaie végétale.
Une petite blessure sur un résineux ne le met pas en péril, la résine cautérise la plaie, empêchant l'infection, dans le même temps, entre en action un mécanisme de survie visant à former un bourrelet  destiné à recouvrir la partie blessée.


Petit à petit, et si l'arbre ne subit pas de nouvelles blessures la cicatrise se fermera.

La croissance des arbres.

Les résineux comme tous les arbres des régions tempérées subissent les alternances des saisons.
La conséquence des ces cycles entraine la formation de bois de différentes qualités.
Ces couches à la textures différentes s'ajoutent les unes aux autres et forment des cernes visibles lors de la coupe de l'arbre.
Un Pin maritime, abattu lors d'une coupe, dont les cernes sont bien visibles, ayant poussé sur le même terrain, avec la même exposition à la lumière sera notre référent pour la suite de notre enquête


Aspect schématique d'un arbre blessé.

Voici en coupe un morceau prélevé sur un arbre âgé de 5 ans. il est né en 1970.
En 1975, soit cinq cernes plus tard il est blessé par un cerf, partie rouge.



Malgré cette blessure, l'arbre continue sa croissance essayant de couvrir année après année la plaie provoquée en 1975.
En 1980 soit cinq anneaux de croissance plus tard la plaie provoquée par le cerf est pratiquement refermée.


En 1983 la plaie est complètement refermée, seule l'écorce  porte quelques traces.


En se basant sur le principe de cicatrisation expliqué ci-dessus, il suffit de couper le bourrelet cicatriciel au bon endroit pour connaître empiriquement la date à laquelle MON arbre a été écorcé la première fois.
Nous sommes en 1983, 7 cernes nous séparent de la blessure, soit 1975.


Je vais donc appliquer la même méthode sur "mon" arbre écorcé. À  l'aide d'un canif je coupe le bourrelet de cicatrisation, je compte les cernes et mesure l'épaisseur du bois fabriqué depuis la première blessure.



10 cernes, assez mal marqués je dois le dire, apparaissent. L'épaisseur est de 15 mm.
Afin de contrôler mes données je vais mesurer sur mon arbre témoin coupé par les bûcherons une épaisseur de 15 mm et compter les cernes.
Cet arbre référent doit :
-être de la même espèce,
-d'un  diamètre  à peu près égal,
-avoir subi la même exposition lumineuse,
-avoir poussé sur la même pente
 
Je dégage au couteau les cernes orientés à l' Est comme l'arbre frotté.


Je compte sur une longueur de 15 mm, 12 cernes donc 12 ans.

Cette vérification permet d'avancer l'hypothèse que cet arbre est frotté par des cervidés  différents, au même endroit depuis 12 ans.

Fidélité et habitudes !

Document exceptionnel.

Pour clore cet article je vous propose un document exceptionnel inédit.
Vous y verrez un arbre d'un assez gros diamètre écorcé par un cerf pendant le brame.
Cet arbre que nous pourrions penser fréquenté que par ce seul animal est en fait utilisé comme borne olfactive par les biches, les daguets, et les autres cerfs du secteur.
Ce document apporte de nouvelles connaissances sur les frottis. Malgré mes recherches sur la toile et dans la documentation existante, je n'ai pas trouvé de témoignage de ces pratiques. Je suis donc heureux de verser au dossier des frottis du brame ce dossier exceptionnel et inédit.



 
   Pour recevoir les articles de ce blog dès leur parution abonnez-vous gratuitement  





Définitions : (1*) Spéciation. Processus évolutif permettant à de nouvelles espèces d'émerger. (2*) Sympatrique.Se dit d'espèces voisines vivant dans la même région mais ne s'hybridant pas, généralement pour des motifs génétiques. Liens : Les bois de cerf Universisté de Liège. Utilisation des bois de cerf (une étude sujette à caution !)




Sélection du message